Une mosaïque d’influences pour une identité singulière

Entre coteaux viticoles, marais de l’estuaire et landes forestières, la Haute Gironde s’est construite sur une rencontre de cultures rurales, fluviales et marinières. Terre de frontières à la croisée du Médoc, de la Saintonge et du Bordelais, elle cultive un patrimoine original, ni tout à fait girondin, ni tout à fait saintongeais, marqué autant par l’histoire que par les usages quotidiens. Aujourd’hui, cet héritage s’incarne dans des fêtes, des savoir-faire et une diversité d’expressions vivantes, reflets d’un art de vivre discret mais solide.

Fêtes et cérémonies traditionnelles : une célébration de la vie locale

La Haute Gironde entretient une vie festive ancrée dans le calendrier rural, mais aussi nourrie par des influences maritimes et viticoles.

  • Les fêtes de l'estuaire :
    • "Les Fêtes de la Mer" (Port de la Lune, Bourg, Saint-Ciers-sur-Gironde) : remises à l’honneur dans les années 2010, elles célèbrent la tradition maritime, avec bénédictions des bateaux, chants de marins, dégustations de produits de la pêche (notamment la pibale, jeune anguille très appréciée localement), et expositions consacrées à la mémoire des gabares (sources : Office du Tourisme de Haute Gironde).
  • Foires et festivals viticoles :
    • Les Fêtes du Vin (Blaye, Bourg) : entre dégustations, expositions et concerts, elles fédèrent vignerons, artisans, habitants et touristes, prolongeant une tradition enracinée dans les foires médiévales de l’estuaire (Source : Vin de Blaye, Fédération des vins de Bordeaux).
    • La Foire à l'Asperge de Etauliers : chaque avril, cet événement attire autour de 15 000 visiteurs pour célébrer un légume emblématique du territoire, dans une ambiance mêlant marché, repas champêtre et animations artisanales.
  • Rituels collectifs :
    • La traversée Rions-l’Ombrière (Plassac/Blaye) : épreuve d’endurance sur l’estuaire, héritée des parcours jadis effectués par les pêcheurs et passeurs.
    • Les feux de la Saint-Jean : encore présents à Marcillac et Saint-Androny, ils marient convivialité paysanne et rites de passage au solstice d’été (source : Service patrimoine, Mairie de Blaye).

Langues régionales et expressions : un parler du territoire

La Haute Gironde occupe une zone de contact linguistique : elle porte les traces de l’occitan gascon au sud et du saintongeais à l’embouchure nord de la Dordogne. Si la pratique usuelle s’est fortement réduite au XXe siècle, plusieurs expressions persistent, véhiculées auprès d’un public curieux ou par des anciens.

  • Expressions et mots courants :
    • Lou pitchoun (le petit, occitan/gascon)
    • Lou poï (le puits, saintongeais/blayais), similitude avec lou pech (la colline)
    • Le terme « cabane » ou « carrelet » : désigne les cabanes de pêcheur posées sur pilotis au bord de l'estuaire (source : Atlas sonore d’Aquitaine, CNRS)
    • Dans le Blayais, la tournure « faire drousse » (faire vite, emprunt saintongeais), entendu encore lors de moments de récolte
  • Efforts de valorisation : ateliers d’occitan au collège de Blaye, collectages de récits menés depuis les années 2000 par les maisons du patrimoine à Bourg et Saint-Ciers (sources : Conseil régional Nouvelle-Aquitaine, Dictionnaire du Parler du Blayais).

À noter : les anciennes chansons de fête, souvent entonnées lors de repas collectifs ou fêtes scolaires, gardent des traces de ces deux parlers (répertoire recueilli par la BnF dans le fonds Archives Sonores Sud-Ouest).

Gastronomie : produits de l’estuaire et recettes singulières

L’assiette en Haute Gironde puise aux ressources du fleuve, des vignes et des terres maraîchères, donnant une cuisine généreuse.

  • Pibales et poissons de l’estuaire :
    • Pibales (jeunes anguilles) frites avec ail et persil, servies traditionnellement aux grandes tablées au printemps (source : Dossier "Gastronomie de l’Estuaire", Sud Ouest Gourmand).
    • Lamproie à la bordelaise : lamproie mijotée dans le vin rouge, plat d’origine médiévale, étendard du Blayais et du Cubzaguais (source : Fédération des Confréries de la Gironde).
  • Produits maraîchers :
    • Asperge du Blayais (IGP depuis 2005) : servie en vinaigrette ou en risotto, elle fait la fierté des marchés de printemps (chiffre : 400 hectares en production, source : Chambre d’Agriculture de Gironde).
  • Spécialités de la vigne et du verger :
    • Vins de Blaye Côtes de Bordeaux et Bourgeais : vins rouges et blancs réputés pour leur souplesse, souvent présents sur les tables de fêtes.
    • Pruneaux — issus du verger, ils sont parfois cuisinés en tourte légère dans les bourgs ruraux.
  • Pâtisserie locale :
    • Broyé du Blayais (galette sablée)
    • Le "canelé", très présent dans les boulangeries du Territoire

Artisanat : un territoire de métiers de main et de transmission

Au-delà des grandes filières (viticulture, pêche, bois), la Haute Gironde valorise des pratiques artisanales spécifiques, souvent transmises en famille ou remises au goût du jour par de jeunes installés.

  • Travail du bois et du chêne-liège : lié à la forêt de la Double et aux forêts de Braud-et-Saint-Louis, le métier de bouchonnier était autrefois emblématique. Plusieurs ateliers perpétuent encore ce savoir-faire en restauration de barriques et d’outils anciens.
  • Céramique et poterie utilitaire : autour de Saint-André-de-Cubzac, des potiers perpétuent des gestes anciens hérités des besoins domestiques de la vie rurale (ateliers ouverts lors des Journées Européennes des Métiers d’Art).
  • Fabrication de filets et vanniers de l’estuaire : la tradition des "filetiers", qui fabriquaient à la main filets à pibales et carrelets (source : Musée de la Mer et de la Pêche de Gironde).
  • Marqueurs contemporains : aujourd’hui, bijoutiers, souffleurs de verre, tapissiers se sont installés à Saint-Savin, Bourg et Blaye, réinterprétant le dialogue entre patrimoine et modernité.

Musique et danse : rythmes du pays et mémoire vivante

La musique populaire est indissociable des fêtes et rassemblements. La Haute Gironde a vu se développer plusieurs traditions spécifiques.

  • La Garonnelle ou rondeau en couple : danse de cercle chantée sur tout le bassin d’estuaire, accompagnée souvent par l'accordéon diatonique ou le fifre.
  • Les bals occitans : très présents entre Blaye et Saint-Savin, avec des groupes (« Los Sautèraires ») qui rassemblent parfois plus de 200 danseurs lors des fêtes de village ou lors des animations scolaires (source : Fédération des musiques traditionnelles en Aquitaine).
  • Chants de mariniers et de vendanges : chants à répons, parfois transmis oralement jusqu’aux années 1980.

Des associations, telles que Sèm d’Aci (Blaye), organisent régulièrement des ateliers pour initier les jeunes à ces répertoires, souvent en lien avec les écoles primaires.

Costumes et symboles, entre terre et estuaire

L’habillement traditionnel, notamment lors de processions ou reconstitutions, mêle influences gasconnes, bordelaises et maritimes.

  • Le béret à large bord et le foulard noué : portés autrefois lors des foires agricoles.
  • Sabots de bois et caraco en laine : typiques des viticultrices et femmes de pêcheurs.
  • Croix occitane stylisée : visible sur les bannières associatives, les tombes anciennes, ou sur les bouteilles de vin artisanal local.
  • L’emblème du carrelet : vu sur de nombreux logos communaux, il incarne l’attachement à l’estuaire.

Si les costumes ne sont plus portés quotidiennement, ils surgissent lors des fêtes historiques, comme les célébrations du patrimoine à Bourg, ou lors du Printemps des Bastides à Blaye.

Légendes, croyances et récits populaires

  • La Dame Blanche de Bourg-sur-Gironde : fantôme aux abords du port, souvent évoqué par les anciens comme gardienne de la mémoire maritime.
  • La légende de la motte de Lansac : colline isolée réputée être le refuge d’un dragon, racontée chaque été lors des randonnées contées (source : Association Les amis de Lansac).
  • Croyances sur la "maladie de la vigne" : on racontait autrefois que des rites avec rameaux de chêne et cendres, combinés à des prières en patois, pouvaient protéger les récoltes de la grêle (collectages, Archives départementales de la Gironde).

Associations : relais de mémoire et de transmission

  • Les Amis du Vieux Blaye : proposent des ateliers de mémoire vivante, des balades du patrimoine et accompagnent écoles et familles à la découverte des racines locales (source : site de l’association).
  • Patrimoine & Traditions Bourg sur Gironde : orchestre visites guidées, collectes d’objets anciens, et animations sur les anciens métiers (fabrication du vin, coutumes de pêche).
  • Sèm d’Aci : valorise le patois, la musique traditionnelle et les danses, notamment lors du festival annuel "L’Estivada de l’Estuaire".
  • Plusieurs clubs de marche et jardins partagés proposent des sorties centrées sur la cueillette de plantes médicinales et la découverte de vieux remèdes locaux, contribuant à la transmission de savoirs populaires.

Événements valorisant la culture locale 

  • Festival Les Estivales Girondines (Blaye, Bourg) : trois semaines de concerts, spectacles, balades contées, marchés de producteurs.
  • Printemps des Bastides à Blaye : mêle visites guidées, reconstitutions historiques et démonstrations culinaires autour de la citadelle.
  • Journées du patrimoine de pays : ouverture de caves, forges et domaines privés habituellement fermés, avec ateliers sur la fabrication du pain, du girondin et du liège.
  • Fête de la Pibale (Saint-Ciers-sur-Gironde) : rassemble pêcheurs et gourmands autour de dégustations, conférences et sorties sur la Gironde.

Marchés et foires : lieux de vie et de transmission

  • Le marché de Blaye (mercredi, samedi) : point névralgique où maraîchers, ostréiculteurs, vignerons et artisans perpétuent l’esprit des "places" anciennes.
  • Marché de Bourg (dimanche matin) : réputé pour ses produits de l’estuaire et sa convivialité intergénérationnelle.
  • Les foires mensuelles de Saint-André-de-Cubzac et d’Etauliers : rendez-vous majeurs, héritées des grandes « foires aux bestiaux » du XIXe siècle.

Ces marchés sont non seulement des lieux d’achat, mais aussi des espaces essentiels d’échange d’histoires, de découverte d’anciens tours de main, et d’intégration des nouveaux venus — véritables cénacles populaires où l’identité locale s’exprime avec naturel.

L’identité haut-girondine, entre continuité et renouvellement

La Haute Gironde illustre un équilibre rare entre respect des héritages et capacité d’adaptation. Ses fêtes, marchés, cuisines, métiers et récits charpentent un sentiment d’appartenance qui ne se laisse pas enfermer dans la nostalgie. Ici, la tradition reste vivante parce qu’elle se renouvelle dans le partage, la rencontre et l’inventivité de ses habitants — l’essence même d’un territoire qui ne cesse d’inspirer celles et ceux qui le traversent.

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